Conflit Ukrainien : quelles conséquences sur la filière bois?

Conflit Ukrainien : quelles conséquences sur la filière bois?

Cet article a été mis-à-jour le 02/05/2022

Le 24 février dernier, la Russie lançait son offensive militaire ayant pour but l’invasion de l’Ukraine. Suite à cela, des sanctions ont été appliquées à la Russie par l’Union Européenne, mais aussi, entre autres, par les États-Unis, le Royaume-Uni, la Canada, ou encore le Japon. L’UE a déjà appliqué cinq vagues de sanctions à la Russie. Ces sanctions couvrent de nombreux domaines, allant de l'économie aux médias, en passant par la finance et les espaces aériens. Certaines de ces sanctions touchent également le secteur du bois, directement ou indirectement. Quelles sont donc les conséquences du conflit et des différentes sanctions, infligées à la Russie et par la Russie, sur la filière Forêt-Bois ? Nous nous concentrerons principalement sur la France et l’Union Européenne. 

État des lieux des différents marchés

  • La Russie : le leader mondial du bois

Avec un territoire de plus de 17 millions de km2 recouverte à 67% par de la forêt, et 20% de la forêt mondiale,  il n’est pas étonnant que la Russie soit le premier exportateur de bois mondial. En 2017, la Russie exportait 212 millions m3 de grumes. En 2021, c’est 30 millions de m3 de sciages qui était exportés, dont 16 millions vers la Chine. Le marché du bois russe est principalement tourné vers la Chine (~40%), mais elle exporte aussi beaucoup vers des pays voisins comme l’Ouzbékistan, le Japon ou la Finlande (~5% chacun).

  • L’Ukraine : de lourdes conséquences sur des secteurs très précis

Comparée au mastodonte russe, l’Ukraine n’a que peu d’impact sur le secteur international du bois (3 millions m3 de grumes exportés par an). En revanche, elle est le premier fabricant européen de palettes, produit essentiel au transport de marchandises, et dont la pénurie affectera plusieurs chaînes d'approvisionnement industrielles critiques, comme l'alimentation et les médicaments. L’Ukraine abrite aussi un grand nombre de chauffeurs routiers qui ont dû arrêter de travailler pour aller défendre leur pays, affectant encore plus les chaînes d’approvisionnement (le transport routier représente 75% du fret intérieur en Europe).  

  • Conséquences pour la France

Globalement, la Russie ne représente que 3% du bois consommé en France, répartis principalement entre :

- les sciages résineux représentant 10% de ceux importés par la France

- les panneaux de contreplaqué en bouleau représentant 5% de ceux importés par la France

L’impact du conflit et des sanctions sera donc faible sur les échanges France/Russie mais l’impact sur d’autres pays européens sera plus fort, ce qui créera une hausse de la demande de bois et donc une augmentation des prix dans un marché déjà très volatile.

Les différents sanctions et leurs conséquences

  • La Russie sanctionnée par des acteurs publics, mais aussi privés

Les sanctions de l’Union Européenne concernent différents domaines:

- les marchandises : l’importation de fer, d'acier, de bois, de ciment, de charbon et d'autres combustibles fossiles en provenance de Russie et de Biélorussie est interdite.

- la finance : l’exclusion de la Russie du système SWIFT va compliquer les transactions et donc la logistique pour l’approvisionnement, augmentant encore la volatilité des prix.

- les transports : Des armateurs (CMA CGM, Maersk) ont déjà arrêté leur activité depuis et vers la Russie. En conséquence de quoi les importations vont se réorienter vers les pays scandinaves qui possèdent davantage de stocks

La Russie a également été sanctionnée par des acteurs privés : les labels FSC et PEFC ont décrété que le bois provenant de Russie, d’Ukraine, et de Biélorussie était du bois de conflit et ne pouvait donc plus être certifié. Ces 2 labels certifient 100 millions d’hectares à eux deux (1⁄8 des forêts russes). Ils font ainsi pression sur les partenaires commerciaux des entreprises achetant du bois venant de ces pays pour les faire changer de fournisseurs car le label représente une forte incitation à l’achat pour le consommateur final. FSC a décidé de ne pas retirer la labellisation des forêts russes pour maintenir la protection de celles-ci. Ils assurent donc le maintien des contraintes FSC sans les avantages commerciaux de la certification.

  • Conséquences prévisibles pour le marché international

Les sanctions sur le bois russes auront un impact à la hausse sur la demande en bois européen. Cette hausse s’ajoute à une hausse précédente provoquée par deux évènements majeurs dans l’industrie du bois : la décision de la Chine (1er exportateur de bois à l’époque) en 2017 de mettre un terme à l’abattage commercial de ses forêts naturelles pendant 99 ans, et le doublement de la taxe américaine sur les importations de bois canadien, passant à 17.9% en 2021. Les États-Unis se sont alors tournés vers l’Europe, entraînant un triplement du prix du fret. Le fret sera d’ailleurs lui aussi fortement impacté par la hausse des prix de l’énergie.

En Europe, l’Allemagne et les pays scandinaves auront un rôle majeur à jouer dans la crise, car ces pays se substitueront à la Russie pour satisfaire la demande européenne et américaine de bois, entraînant une pression à la hausse sur les prix. Néanmoins, la Russie pourrait reporter ses exportations vers la Chine, ce qui diminuerait les importations de celle-ci en bois européen et canadien, réduisant ainsi la pression.

En France, le secteur de la construction est déjà fortement touché par la crise : on observe des pénuries affectant indirectement le secteur du bois (ex: fixations en acier nécessaires aux murs en ossature bois) entraînant une hausse des prix et des délais de livraison. Cette situation a de lourdes conséquences sur la construction car les délais entraînent des pénalités et donc il devient risqué de commencer un chantier, donc les prix augmentent d’autant plus. De plus, les prix de certains bois ont déjà doublé voire triplé, et la fluctuation des prix poussent à une course à l’approvisionnement, alors que les fournisseurs ne peuvent plus s’engager sur des dates ou des délais de livraison. La construction va également être impactée par la baisse de pouvoir d’achat liée à l’augmentation des coûts de l’énergie et de l’alimentation, car la construction ne sera plus une priorité pour les ménages. Même s’il est encore trop tôt pour avoir des chiffres concernant l’impact global du conflit sur les prix du bois, il est à noter que les prix des matières premières avaient déjà connu une forte augmentation en 2021 suite à la pandémie; cette tendance à la hausse devrait donc se poursuivre en 2022. 

Enfin, on estime que le bois énergie sera également affecté, même si là aussi il est encore trop tôt pour avoir une idée précise de l’impact du conflit. On observait déjà une hausse de la consommation de bois de chauffage ces dernières années, car c’est une source d’énergie fiable, peu taxée, et donc peu chère et ayant un prix stable. Cette tendance à la hausse s’était confirmée avec l’augmentation des prix de l’énergie qui rendait le bois de chauffage d’autant plus intéressant pour les ménages malgré une hausse des coûts pour les vendeurs entraînant mécaniquement une hausse des prix. Là encore, la tendance devrait se poursuivre avec le conflit en Ukraine, on observe dès le printemps une hausse des commandes de bois de chauffage, et une hausse des prix de 10 à 15% par endroit.

En résumé, le conflit a pour le moment peu de conséquences directes sur le marché du bois, mais de nombreuses conséquences indirectes, notamment liées à la hausse du coût de l’énergie, des pénuries de matériau de constructions entraînant une augmentation des prix et des délais de livraison, ou à la demande croissante sur les marchés de substitution comme celui du bois de chauffage.

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