La chasse est-elle une pratique écologique ?

La chasse est-elle une pratique écologique ?

La chasse est une activité traditionnelle pratiquée par plus d’un million de personnes en France, et qui est source de nombreux débats opposants certains écologistes et chasseurs. Dans cet article nous nous intéresserons à l’impact de la chasse sur l’écologie afin d’établir dans quelle mesure cette pratique participe, ou non, à la préservation de la biodiversité. Nous nous intéresserons ici uniquement à la question de l’écologie, sans soulever de questions liées au bien-être animal ou au danger de la chasse pour le public en forêt, celles-ci constituant un tout autre débat.

La chasse est nécessaire pour réguler les populations de certaines espèces

Une surpopulation d’ongulés qui entrave le renouvellement de la forêt

Depuis une quarantaine d'années, les populations de certaines espèces d’ongulés ont explosées dans les forêts françaises. Ainsi, l’Office National des Forêts (ONF) explique que depuis 1973 le nombre de sangliers dans les forêts françaises a été multiplié par 20 et le nombre de cerfs par 11. Cette explosion est le fruit de la mise en place, dès les années 1980, de plans de chasse pour les protéger qui ont “trop” bien fonctionné. Cette surpopulation pose différents problèmes qui entravent la régénération de la forêt, et dégradent les cultures agricoles. En effet, ces ongulés mangent les jeunes pousses d’arbres, ce qui empêche les nouveaux arbres de se développer correctement, en augmentant le risque que l’arbre pousse tordu. De plus, les hardes de sanglier piétinent d’autres pousses ainsi que des cultures qui sont détruites. Malheureusement, les essences favorites des ongulés sont précisément celles qui résistent le mieux au réchauffement climatique, telles que le merisier, le chêne, ou encore le tilleul, et dont la pousse devrait être favorisée plutôt qu’entravée. En outre, les prédateurs de ces espèces, notamment le loup, le lynx, et dans une moindre mesure l’ours, ont pratiquement disparu des forêts françaises, du fait d’une chasse excessive par le passé, ce qui empêche d’envisager dans l’immédiat une régulation naturelle de ces populations.

Champ de maïs piétiné par une harde de sangliers en Loire-Antlantique

Champ de maïs piétiné par une harde de sangliers en Loire-Antlantique

Une surpopulation de certaines espèces d'oiseaux qui détruisent des cultures

Si l’on évoque beaucoup le cas des ongulés, ce ne sont pas les seules espèces dont la prolifération pose des problèmes. En effet, la surpopulation de certaines espèces d’oiseaux, notamment de pigeons, de corneilles, ou encore de corbeaux, mène à la destruction de cultures qui sont picorées avant d’avoir pu être récoltées. Il existe certes des moyens autres que la chasse pour enrayer ce phénomène, tels que l’empoisonnement, le gazage ou la destruction de nids, comme cela a longtemps été le cas aux Pays-Bas avec les oies cendrées, mais ceux-ci ne sont certainement pas plus écologiques.

Une surpopulation qui met en péril les espèces elles-mêmes

Par ailleurs, la surpopulation de certaines espèces fait paradoxalement peser des risques sur ces espèces elles-mêmes. En effet, cela peut entraîner un manque de nourriture ou encore favoriser le développement d’épidémies. Jean-Dominique Lebreton, chercheur au CNRS, expliquait au Huffpost que c’est ce qui s’est produit pour les chamois dans les Alpes. Avec les plans de chasse, leur population a explosé et une épidémie de kératoconjonctivite, les rendant aveugles, est apparue. Normalement, ces épidémies sont enrayées par la présence des loups qui tuent les individus malades qui constituent des proies faciles avant qu’ils n’aient le temps de contaminer trop de leurs congénères. Mais la quasi absence des loups dans les Alpes a empêché cette régulation naturelle et les individus malades ont contaminé les autres chamois par dizaines.

La chasse est nécessaire face à la disparition des prédateurs

Pour l’ensemble de ces raisons, l’ONF estime que certaines espèces, notamment d’ongulés, ne sont pas assez chassées en France. De plus, si rien n’est fait, la situation va continuer à empirer car ils profitent largement du réchauffement climatique. En effet, une grande partie des marcassins meurent à la naissance à la fin de l’hiver en raison du froid, mais cela est de moins en moins le cas à mesure que les hivers deviennent plus doux. L’une des réponses à ces problèmes proposée par les associations écologistes serait de miser sur la réintroduction des prédateurs des ongulés plutôt que de les chasser. Néanmoins l’ONF estime que cette mesure, si elle pourrait être une solution à long terme, ne saurait suffire à faire face à l’urgence du problème. En outre, les éleveurs de bétail y sont fortement opposés de peur de voir les attaques de loup se multiplier contre leurs troupeaux.

Certaines pratiques abusives mettent la biodiversité en danger

Au-delà de cette nécessaire régulation de certaines espèces, certaines pratiques cynégétiques abusives n’ont pas d’intérêt écologique, et mettent même la biodiversité en danger. En effet, parmi les 22 millions d’animaux chassés chaque année en France - selon l’Office Français de la Biodiversité (OFB) -  seuls 1,5 millions sont des ongulés, soit 7% du total. Cela signifie que la grande majorité des animaux chassés ne font pas partie des espèces qui mettent la forêt en danger.

Les animaux en surpopulation ne représentent qu'une faible part des animaux chassés en France

Dans les faits, 80% des animaux chassés en France sont des oiseaux, qui pour la majorité, ne sont ni en surpopulation, ni menaçants pour la forêt. Bien que cela ne soit pas une pratique encouragée par la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC), des millions d’oiseaux sont d’ailleurs introduits par les chasseurs chaque année afin de pouvoir être chassés par la suite. Ces individus sont parfois inadaptés à la vie sauvage et font augmenter les risques d’apparition d’épidémies puisqu’ils risquent d’introduire des maladies auxquelles les systèmes immunitaires des oiseaux sauvages ne sauraient faire face. Les associations écologistes reprochent également aux chasseurs de nourrir les ongulés afin de favoriser leur développement pour pouvoir en chasser davantage. Si les chasseurs se défendent en expliquant que c’est un phénomène marginal, et qu’il permet d’éloigner les sangliers des cultures, il est difficile d’établir clairement le rôle que joue cette pratique dans la prolifération de ces espèces.

Certaines espèces menacées sont chassées en France

La France autorise la chasse d’environ 90 espèces, soit le plus de l’UE, dont certaines sont considérées comme quasi-menacées voire menacées par l’OFB. Ainsi, près de 400 000 sarcelles d’hiver, considérées comme menacées, ou encore 1,5 millions de lapins de garenne, quasi menacés, sont chassés chaque année. Il est évident que l’on ne peut pas imputer à la chasse la responsabilité première de la chute de la population de ces espèces, plutôt aux maladies, au bouleversement des paysages et à la multiplication des prédateurs. Mais dans un contexte où il est nécessaire de favoriser le développement et la protection de ces espèces, il n'apparaît pas justifié d'en permettre la chasse, quelque soit la proportion des populations ainsi tuées. La chasse de ces espèces n’est donc pas le fruit d’un besoin écologique, et beaucoup y voient l’action d’un lobby de la chasse puissant en France, et très proche du pouvoir politique, qui freine parfois les régulations. Ainsi, c’est en partie la présence de Thierry Coste, lobbyiste de la FNC, lors d'une réunion à l’Élysée portant sur la réforme de la chasse qui avait poussé Nicolas Hulot à quitter le Ministère de la l’Écologie en 2018. On peut également évoquer le fait que le livre de Willy Schraen avait été préfacé par Éric Dupont-Moretti, avant que celui-ci ne devienne Ministre de la Justice. 

Certaines techniques de chasse traditionnelles ne permettent pas de sélectionner les espèces chassées

Par ailleurs, certaines chasses traditionnelles non-sélectives, parmi lesquelles la fameuse chasse à la glu, interdite en juin 2021, sont fortement critiquables d’un point de vue écologique. En effet, de nombreuses techniques traditionnelles de piégeage (d’oiseaux en grande majorité) ne permettent pas de sélectionner les espèces chassées et entraînent parfois la mort d’animaux appartenant à des espèces protégées et dont la chasse est interdite en France.

Piégeage d'un oiseau dans un filet

Piégeage d'un oiseau dans un filet

Imaginer la chasse durable de demain

Afin que la chasse puisse pleinement jouer son rôle écologique, il sera important d’adapter les proportions et les espèces chassées en fonction de données scientifiques. Ainsi, si une espèce est trop importante dans une région précise, il faudrait y encadrer le prélèvement d’un nombre précis d’individus, sur une période et une zone géographique donnée, sans pour autant  forcément rendre la chasse de cette espèce légale. En outre, il ne faut pas oublier qu’au-delà de l’activité de chasse en elle-même, il est indéniable que les chasseurs fournissent un travail bénévole important de préservation de la forêt. En effet, ils comptent et répertorient les espèces, taillent les haies, ou encore maintiennent les chemins forestiers en bon état. Selon Willy Schraen, président de la Fédération nationale de chasse, ce travail bénévole réalisé par les chasseurs correspond à l’équivalent de 38 000 emplois à temps plein (chiffre qui n’a pas été vérifié).

En règle générale, dans l’état actuel des choses la chasse du gros gibier, et en particulier des ongulés, est justifiable, et même nécessaire d’un point de vue écologique, mais c’est moins le cas pour la majorité des autres animaux. 

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