Le biochar en forêt : nouvel or noir ou simple gadget vert ?
Utilisé depuis des millénaires dans certaines cultures d’Amérique latine, le biochar se présente comme une solution innovante et efficace pour faire face aux défis urgents du changement climatique et de la dégradation des écosystèmes forestiers. S’il présente des avantages considérables pour la séquestration du carbone, l'amélioration des sols et la gestion durable des forêts, est-il vraiment pour autant la solution miracle à nos problèmes ?
Afin de répondre à cette question, plongeons ensemble dans l’univers fascinant de ce charbon vert et découvrons s’il pourrait transformer nos forêts en bastions de durabilité.
Qu’est-ce que le Biochar et comment l’obtient-on ?
Son nom étant la contraction de “bio” et “charcoal” qui signifie charbon d’origine végétale, il est un matériau carboné obtenu par pyrolyse de biomasse. Contrairement au charbon fossile, extrait des mines, le biochar est produit à partir de ressources renouvelables telles que les résidus forestiers (branchages et feuillages). Il se distingue des autres charbons par son absence de HAPs - hydrocarbures aromatiques polycycliques - produit hautement polluant et par son usage qui n’est ni lié à l’énergie ni aux réactions chimiques. Pour faire simple, c’est un charbon produit par l’homme à partir de matière végétale, non récolté dans les mines, et qui a vocation à finir enfoui sous la terre.
Biochar en fragments. Source : https://www.autourdupotager.com/biochar/
La magie de la Pyrolyse
La pyrolyse est le cœur de la création du biochar. En chauffant la biomasse à des températures élevées (300-700°C) sans oxygène, on stabilise le carbone créant ainsi un matériau durable qui pourra résister à d’importantes dégradations pendant parfois plusieurs centaines d’années. Mais ce n’est pas tout : la pyrolyse génère aussi des gaz et des liquides précieux, pouvant être réutilisés comme sources d’énergie renouvelable et directement réinjectés comme carburant dans la machine à pyrolyse. Le processus est alors vertueux, générant plus d’électricité qu’il n’en consomme et produisant huiles végétales et autres biocarburants.
Des ressources forestières parfaites pour le Biochar
Le biochar peut être créé à partir de tout produit issu de la biomasse, même la bouse de vache ! Les forêts constituent ainsi une source variée de matières premières pour la production, englobant les résidus de coupe tels que les branchages, les écorces et la sciure issus des opérations sylvicoles. Les déchets de transformation provenant des industries du bois et de la pâte à papier peuvent également être valorisés dans ce processus. Toutefois, ce processus peut présenter des limites. En effet, dans une sylviculture proche de la nature on veille de préférence à laisser en forêt une partie des résidus de coupe dans l’optique de ne pas appauvrir les sols. L’objectif serait donc par exemple de prélever une partie de ces déchets pour en faire du biochar et d’en laisser une partie en forêt pour préserver la qualité des sols.
Les pouvoirs du biochar
Le biochar n’est pas pas un fertilisant mais il dispose toutefois de capacités comparables :
- Rétention d’eau dans le sol : le biochar améliore la rétention des nutriments et de l'eau, diminuant les effets des sécheresses et favorisant une croissance saine des arbres.
- Stimulation de la biodiversité microbienne : le biochar enfoui dans le sol accueille de nombreux micro-organismes grâce à sa structure remplie de petites cavités. Le sol est ainsi enrichi par la diversité microbienne bénéficiant aux arbres et leur santé.
- Amélioration de la structure du sol : le biochar aide à équilibrer le pH du sol en réduisant l’acidité et diminuant les risques d’érosion.
Stocker le carbone
Au delà de ses capacités fertilisantes, c’est dans sa capacité à capter du carbone que l’on différencie le biochar de son cousin le charbon de bois. En intégrant le biochar dans le sol après le processus de pyrolyse, le carbone est retenu de manière stable pendant des centaines à des milliers d'années grâce à sa résistance aux dégradations, contribuant ainsi à la réduction des concentrations de CO₂ dans l’atmosphère.
Les études à ce sujet ne sont pas nombreuses mais la plupart d’entre elles estiment qu’une tonne de biochar pourrait permettre de stocker de l'ordre de 2 à 3 tonnes d'équivalent CO2.
Source : https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.est.1c02425
Les perspectives du biochar
Selon le GIEC, le biochar a un fort potentiel de réduction de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, estimé entre 0,3 et 6,6 milliards de tonnes de CO2 par an, pourtant il reste encore aujourd’hui presque méconnu.
Des initiatives à l’échelle mondiale intègrent le biochar dans leurs stratégies de reforestation. En Afrique et en Amérique du Sud, grâce à des projets comme celui d’Anthesis Group, le biochar est utilisé pour revitaliser des sols appauvris et favoriser la croissance des arbres, contribuant ainsi à la lutte contre la désertification et à la restauration des paysages forestiers. L’entreprise française Net Zero a par exemple ouvert au Brésil en 2021 l’une des plus grandes usines de production de biochar au monde.
En Europe, le biochar est encore peu utilisé à part en Allemagne, en Autriche, en Suisse et dans les pays scandinaves. Toutefois, sa production y connait une croissance importante passant de 75 000 tonnes en 2023 à plus de 110 000 en 2024 selon l’EBI (European Biochar Industry).
Biochar en granules. Source : Oregon Department of Forestry.
Les obstacles à surmonter
Le biochar doit premièrement surmonter plusieurs défis liés à sa production et son utilisation pour s'imposer pleinement dans la gestion forestière.
- Coûts de production : les installations de pyrolyse souvent de très grande taille nécessitent des investissements élevés, freinant leur déploiement à grande échelle. L'innovation continue dans les technologies de pyrolyse est primordiale pour rendre la production de biochar plus accessible et efficace, réduisant ainsi les coûts et augmentant la viabilité économique du biochar.
- Cadre réglementaire : l'absence de normes claires et de régulations spécifiques au biochar peut entraver son adoption et sa commercialisation à grande échelle. Il n’est par exemple pas encore reconnu en 2025 comme méthode de captation carbone par le Label Bas Carbone du ministère de la Transition Écologique.
- Sensibilisation et formation : il est nécessaire de former le public à ses bénéfices pour éviter les confusions avec le charbon de bois, mais aussi de former les gestionnaires forestiers pour l’intégrer à leur pratique.
Par ailleurs, un soutien politique fort serait nécessaire pour encourager les gouvernements à instaurer des subventions et des incitations financières dédiées à la production et à l'utilisation du biochar. En effet, il peut coûter aujourd’hui parfois plus de 1000€ par tonne. Ces mesures pourraient accélérer son adoption et promouvoir des pratiques forestières durables.
Enfin, les potentiels risques d’un usage plus généralisé restent à présent inconnus. La recherche et le développement doivent se poursuivre afin d'approfondir la compréhension des impacts à long terme du biochar. En explorant davantage ces aspects, il sera possible de maximiser les bénéfices environnementaux et économiques du biochar. Il faut ainsi veiller à ne pas perturber d’autres cycles naturels, en ne prélevant pas trop de déchets bois par exemple afin de conserver une bonne qualité des sols forestier. Si l’on parvient à produire du biochar sans épuiser d’autres ressources alors on pourra consolider son rôle dans la gestion durable des forêts et la lutte contre le changement climatique.
Le potentiel des crédits carbone de biochar
Malgré ces défis, le potentiel du biochar dans les forêts demeure important. Comme vu précédemment, il a des effets bénéfiques sur l’environnement et le climat et peut s’insérer dans une logique circulaire et durable : réutilisation de déchets bois pour en faire du fertilisant qui capte du carbone. Toutefois, le potentiel du biochar va bien au delà de l’écologie en étant une source de revenus pour les territoires locaux. La vente de biochar permet déjà des bénéfices issus des déchets forestiers pour les propriétaires de forêts, mais c’est un nouveau potentiel à la fois écologique et économique qui s’ouvre avec la création de crédits carbone de biochar.
Les coûts du biochar étant très élevés, l’émission et la vente de crédit carbone se révèle être une solution pour financer son développement et démocratiser l’usage de ce produit encore trop peu connu.
Des structures comme Puro.earth ont déjà rédigé une méthodologie pour émettre des crédits de séquestration carbone par le biochar et certains labels sont en cours de développement comme le label EBC (European Biochar Certificate).
Conclusion
Le biochar représente une opportunité intéressante pour la gestion durable des forêts et la lutte contre le changement climatique. En optimisant la séquestration du carbone, en améliorant la santé des sols et en offrant de nouvelles opportunités économiques, le biochar s'affirme comme un outil additionnel et plein de potentiel pour renforcer la résilience des écosystèmes forestiers. Encore peu développé pour le moment il devra pour réaliser pleinement son potentiel surmonter les défis actuels par l'innovation, un soutien politique et une sensibilisation accrue. Mais il y a de forte chance qu’en intégrant le biochar dans les pratiques forestières, nous puissions aider les forêts à être plus résilientes, durables et saines.