Pourquoi les scieries françaises sont-elles en crise ?

Pourquoi les scieries françaises sont-elles en crise ?

La quantité ainsi que la densité des forêts françaises ont permis au cours du siècle dernier la multiplication des scieries en France, au point d’en faire un élément central de nombreux villages, et du patrimoine national. Ainsi, on en comptait pas moins de 15000 au début des années 1960. Aujourd’hui, la forêt française est plus étendue qu’elle ne l’a jamais été au cours des 200 dernières années, et le marché du bois est extrêmement dynamique, pourtant, les scieries françaises traversent une crise sans précédent, dont la majorité d’entre elles ne se remettront pas. À travers cet article, Kloros va vous donner des clefs de compréhension de cette crise, afin de mieux comprendre quelles en sont les causes, et comment en sortir.

Un déclin amorcé depuis plus de 60 ans et lié à des facteurs structurels…

  • Un tissu inadapté aux nouvelles données de la mondialisation

Si elle s’est exacerbée depuis quelques années, la crise des scieries françaises n’est pas une nouveauté. Entre 1960 et 1980 leur nombre a été divisé par trois pour tomber à 5000, et même à peine plus de 1000 aujourd’hui. Ce déclin est donc avant tout structurel. En effet, depuis la seconde moitié du XXème siècle, l'économie mondiale est entrée dans une phase de mondialisation toujours plus poussée. Cette mondialisation a ouvert les économies nationales à la concurrence internationale, ce qui a eu pour conséquence de fragiliser les entreprises de plus petite taille avec un ancrage international peu prononcé, car elles sont moins bien armées pour affronter leurs concurrentes étrangères. Or, le secteur des scieries en France se caractérise justement par la présence de très nombreuses scieries dites artisanales, avec de faibles volumes de production. Ainsi, on estime que 60% des scieries en France sont artisanales, avec une production moyenne de moins de 2000 m3 de sciage par an. Ensemble, elles ne représentent que 6% de la production nationale annuelle. Les scieries industrielles, pouvant scier jusqu’à 600 000 m3 de bois par an, totalisent quant à elles 54% de la production française alors qu’elles ne comptent que pour 5% des scieries sur le territoire. La crise des scieries françaises s’explique donc en grande partie par le fait que beaucoup de transformateurs de faible taille n’ont pas su investir pleinement un marché toujours plus grand et internationalisé, caractérisé par une concurrence extrêmement rude. Ce n’est donc pas une surprise lorsque l’on observe que la quasi-totalité des fermetures de scieries concerne des scieries artisanales.

  • Des décisions étatiques qui poussent à la concentration du secteur

Depuis quelques années, les gouvernements successifs ont fait le choix de jouer le jeu de la mondialisation et de la concurrence internationale, en favorisant la concentration du secteur. Ainsi, David Caillouel, président du Syndicat des Exploitants de la Filière Bois (SEFB), regrettait dans une tribune parue dans Les Échos que depuis 2016, l’Office National des Forêts (ONF) - l’organisme public en charge de la gestion des 4,5 millions d’hectares de forêt publique en France et qui commercialise 40% de la récolte nationale - signe des contrats d’approvisionnement de gré à gré sans transparence sur les prix généralement 20 à 30% en-dessous des prix du marché, et réservés uniquement aux plus gros transformateurs. Ces contrats permettent certes la création de géants nationaux extrêmement compétitifs sur le marché mondial, mais engendrent également une concurrence déloyale sur le marché français, qui désavantage là encore les petites scieries. En outre, traditionnellement de nombreuses scieries ont, en plus de leur activité de sciage, une activité de négoce de bois qui leur permet de vendre non seulement leur stock de bois scié, mais aussi certains bois ronds non sciés dont elles n’ont finalement pas l’usage. Or, depuis 2015, elles n’ont plus le droit d’exporter hors d’Europe les grumes de chêne de mauvaise qualité comme elles le faisaient jusqu’en 2015. Ces exportations leur permettaient d’équilibrer leurs comptes, et d’éviter de se retrouver avec un stock inutilisé. L’ensemble de ces éléments permet peut-être de renforcer certaines entreprises françaises à l’international, mais handicape clairement les scieries artisanales qui doivent acheter leur matière première à plus haut prix, et sans pouvoir exporter celles dont elles n’ont finalement pas l’usage.

  • Des difficultés internes aux scieries françaises

L’évolution du marché et des choix étatiques ne sont pas les seuls facteurs structurels explicatifs du déclin des scieries françaises. En effet, de nombreux choix réalisés par les scieries elles-mêmes depuis plusieurs dizaines d’années tendent à les fragiliser. Tout d’abord, celles-ci sont excessivement frileuses aux investissements, du fait des crises économiques successives et de leur manque de fonds propres que le scepticisme des banques empêche de compenser par des emprunts. En conséquence, l’équipement industriel des scieries françaises est globalement ancien, voire dépassé normativement. De plus, les scieries peinent à trouver des repreneurs lors du départ à la retraite du gérant. Cela s’explique en partie du fait de la tertiarisation de l’économie, mais aussi de la fermeture de certaines écoles spécialisées dans la scierie, comme par exemple avec l'arrêt de la section scierie de l’École du bois de Mouchard. En règle générale, il est actuellement très difficile pour les scieries françaises de recruter une main d'œuvre qualifiée et de qualité. Par ailleurs, il y a trop peu de coopération entre les scieries, qui permettrait de faire face plus efficacement aux grosses commandes, de faire des économies d’échelle, de partager du matériel, mais aussi de défendre plus efficacement les intérêts des petites scieries.

Parc à grumes de la scierie Siat-Braun à Urmatt (67) - la plus grande de France - qui bénéficie d'un équipement dernier cri (c) Mathieu Noyer

Parc à grumes de la scierie Siat-Braun à Urmatt (67) - la plus grande de France - qui bénéficie d'un équipement dernier cri (c) Mathieu Noyer

…Et exacerbé depuis quelques années par des difficultés conjoncturelles

  • Certains marchés avals peu dynamiques

La crise des subprimes à partir de 2008 puis celle du covid ont eu pour conséquence de ralentir fortement le secteur de la construction, qui est pourtant l’un des principaux débouchés de la filière bois dont les scieries font partie. La crise covid a été particulièrement rude pour les scieries françaises. En effet, les confinements ont mis les chantiers complètement à l’arrêt pendant plusieurs semaines, et donc fortement freiné la demande. Ce marché est toutefois en fort rebond depuis l’année dernière, ce qui ne peut qu’être une bonne nouvelle pour les scieries françaises. Par ailleurs, d’autres secteurs tels que l’ameublement semblent se tourner de plus en plus vers d’autres matières premières que le bois.

  • Des difficultés à se fournir en matière première

Depuis 5 ans environ, un nouvel élément vient mettre les scieries françaises en danger, et ce peu importe leur taille. En effet, les scieries françaises font face à d’importantes difficultés à se fournir en matière première. Cela peut sembler paradoxal lorsque l’on sait que les forêts françaises contiennent largement assez de bois pour alimenter l’ensemble de la filière. L’explication principale à cette situation réside dans le fait que les exportations de grumes (troncs d’arbres non encore transformés en scierie) en direction de la Chine ont explosé depuis 2017 avec l’interdiction de l’abattage des forêts chinoises pendant 99 ans. Rien qu’en 2021, les achats chinois de chênes français ont grimpé de 42% par rapport à 2020, pour atteindre les 420 000 m3 (soit environ un sixième de la récolte totale) et ceux de résineux ont même explosé de 66%. Ce phénomène est exacerbé par la décision de la Russie de ne plus exporter son bois, alors que 70% de ses exportations étaient à destination de son voisin chinois. De plus, le mandat de Donald Trump a été marqué par la dégradation de ses relations commerciales avec le Canada, de telle sorte que les entreprises américaines ont importé beaucoup plus de grumes depuis l’Europe, et notamment la France. Cette situation est particulièrement délicate à gérer pour les scieries françaises, notamment lorsque l’on prend en compte le fait que les entreprises étrangères, surtout chinoises, sont prêtes à payer un prix supérieur au marché afin d’être certaines d’être fournies rapidement en matière première, à tel point que les scieries françaises ne sont plus en mesure de s'aligner sur ces prix.

Entrepôt de la scierie Touchard à Moncoutant-sur-Sèvre (79) ©

Entrepôt de la scierie Touchard à Moncoutant-sur-Sèvre (79) ©

Quelles pistes de sortie de crise pour les scieries françaises ?

Il existe plusieurs pistes de sortie de crise pour les scieries françaises. La priorité semble être de sécuriser l'approvisionnement en matière première. Cela pourrait passer par une réglementation des exportations, comme l’ont réclamé plus de 15 000 professionnels français du secteur à travers une pétition lancée par la Fédération Nationale du Bois (FNB) l’année dernière. Toutefois, sans un soutien de l’UE, une telle régulation en France est pratiquement impossible, d’autant plus que le gouvernement actuel a indiqué ne pas y être favorable. Le SEFB, qui regroupe la majorité des exploitants forestiers du territoire incite par ailleurs les scieries à faire l’effort de s’aligner sur les prix, certes élevés, payés par les chinois. En outre, pour aider les petites scieries, de nombreux acteurs demandent que l’ONF réserve une partie de ses contrats d’approvisionnement aux scieries artisanales, et fasse preuve de davantage de transparence sur les prix pratiqués. Les autoriser à nouveau à exporter les grumes de chêne impropres à une transformation locale permettrait également à ces scieries de retrouver une source de revenu complémentaire importante. Enfin, les scieries elle-même devraient consentir à des investissements coûteux mais vitaux sur le long terme afin de moderniser leur équipement et ainsi maintenir un niveau de productivité comparable à celui de ses concurrents étrangers, et notamment européens.

La transition écologique et le recouvrement d’un tissu économique solide dans les zones rurales sont deux priorités pour l’avenir de la France, et dans les deux cas les scieries doivent y jouer un rôle important. Les scieries artisanales et semi-industrielles notamment constituent des acteurs économiques importants dans les campagnes françaises, et agir rapidement est indispensable si l’on veut éviter que le nombre de scieries ne soit divisé encore par trois d’ici à 2030, comme l’indique le rythme actuel des disparitions. L’engouement pour les constructions en bois dans les grandes villes ainsi que pour les installations des JO de Paris 2024 pourrait d’ailleurs aider à redresser la filière.

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