La compensation carbone, démarche écologique ou greenwashing?
La compensation carbone est souvent décriée et assimilée à du greenwashing, c’est-à-dire à une stratégie de communication ou de marketing visant à donner une image trompeuse de responsabilité écologique à ceux qui emploient cette stratégie. Le greenwashing est au cœur des critiques adressées à la compensation carbone, qui vont même jusqu’à remettre en cause la pertinence de la démarche de compensation. Mais qu’en est-il vraiment ? Les organismes faisant du greenwashing investissent davantage de moyens dans la publicité que dans de réelles actions durables en faveur de l’environnement. Ils ont recours à des termes ou expressions ambiguës, des visuels fallacieux, ou à des promesses excessives pour tromper le public et masquer l’inefficacité effective de leur stratégie de lutte contre le réchauffement climatique. Le greenwashing est même plus néfaste qu’il n’y paraît car il occulte la nocivité de certains produits, nuit à la visibilité de vrais messages et actions écologiques, et sème la confusion dans l’esprit des consommateurs quant aux bonnes démarches à suivre pour réduire leur empreinte carbone. Les entreprises qui compensent font-elles du greenwashing ou bien est-ce une démarche sincère et cohérente? Nous allons voir, au-travers d’exemples révélateurs, que la frontière entre compensation carbone et greenwashing est parfois mince, et nous allons vous donner les clés pour distinguer les pratiques trompeuses des démarches sincères.
Les exemples les plus courants de greenwashing
Compenser ses émissions sans chercher à les réduire
Avant de se pencher sur la compensation de son empreinte carbone, tout organisme engagé dans une démarche environnementale doit se demander dans un premier temps comment éviter d’émettre du carbone avec son activité, puis dans second temps comment en émettre le moins possible. Introduite dans le droit français en 1976, “la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC) a pour objectif d’éviter les atteintes à l’environnement, de réduire celles qui n’ont pu être suffisamment évitées et, si possible, de compenser les effets notables qui n’ont pu être ni évités, ni suffisamment réduits”. La séquence ERC impose de hiérarchiser les mesures prises par les organismes afin de maximiser leur impact environnemental. En effet, même si elle fait partie de la solution, la compensation ne résoudra jamais le problème seule et doit s’accompagner de changements de comportements. Le respect de cette hiérarchie d’actions est primordial afin d’éviter de tomber dans le greenwashing à la manière de Gazprom et Shell qui en 2021 annonçaient avoir effectué la première livraison de gaz naturel liquéfié neutre en carbone sous prétexte qu’ils avaient acheté des crédits carbone pour compenser 100% de leurs émissions. Leur démarche visait paradoxalement à faire rimer énergie fossile et écologie, tout en masquant le côté hautement polluant de leur activité. Il faut se méfier du piège de la neutralité carbone : des organismes annoncent être neutre en carbone simplement parce qu’ils compensent autant qu’ils polluent. Or d’une part la neutralité carbone n’a de sens qu’à l’échelle de la planète, et d’autre part les volumes compensés reposent parfois sur des estimations présomptueuses et risquées qu’il faut prendre avec parcimonie, car le carbone émis aujourd’hui sera compensé dans de nombreuses années.
L’asymétrie entre les émissions et les actions prises en compensation
La compensation carbone requiert la transparence des organismes qui la pratique quant à leurs émissions et leurs objectifs de compensation. Cette transparence est nécessaire afin de ne pas nuire à la crédibilité de la démarche. Ainsi, lorsque Skoda annonce planter un arbre pour chaque véhicule vendu, le constructeur insinue qu’un seul arbre capte autant de carbone que ce qui est émis pour construire une voiture. De même lorsque l’aéroport de Montpellier annonce planter un arbre tous les mille nouveaux voyageurs. La plantation d’arbres ne compensera jamais l’empreinte carbone des aéroports ou compagnies aériennes tant qu’ils n’envisagent pas une remise en cause de leur business model. Ce genre de stratégie, ne s'appuyant sur aucune donnée factuelle, mise sur la crédulité de l’audience pour chercher à convaincre et à améliorer son image, et fait passer la compensation carbone pour de la communication plus que de l’écologie.
Le manque de cohérence de la démarche
Les mesures de compensation carbone sont définies pour répondre à un problème précis dans un cadre précis. Ainsi, pour s’assurer du bien fondé de la démarche de compensation d’un organisme, il faut étudier la cohérence de certains éléments :
- L’échéance annoncée du projet
Mettre en place une compensation carbone durable prend du temps, d’autant plus si la quantité de carbone à séquestrer est élevée. Si un organisme prétend pouvoir répondre à son problème d'empreinte carbone en un court laps de temps, il faut se méfier. Ainsi, on peut douter de la démarche de Nespresso en 2020 lorsqu'ils annoncent qu’ils atteindront la neutralité carbone en 2022.
- La part des émissions dont l’entreprise est directement responsable :
En effet, l’activité d’une entreprise nécessite souvent la production d’énergie, voire la production et le transport de marchandises en amont, émettant également du carbone. Ces différents niveaux d’implication de l’entreprise dans les émissions sont répartis en trois niveaux (scopes 1, 2 et 3). Lorsqu’un organisme annonce atteindre la neutralité carbone, il faut penser à vérifier si cette neutralité concerne également les émissions dont l’organisme se rend indirectement responsable. Cet échelonnement des émissions peut entraîner du greenwashing, comme lorsque Velux annonce atteindre la neutralité carbone à vie pour les scopes 1 et 2 qui ne représentent en réalité que… 6% de l’empreinte carbone de l’entreprise
De quels outils disposons-nous pour lutter contre le greenwashing?
Après avoir vu ce qu’est le greenwashing, demandons-nous comment éviter d’y céder et intéressons-nous aux outils qui peuvent nous aider à distinguer les stratégies durables du greenwashing. Pour cela, nous allons distinguer deux échelles auxquelles le greenwashing peut intervenir:
Le greenwashing au niveau du projet
Les labels sont des acteurs clés car ils permettent de donner davantage de fiabilité aux projets en certifiant qu’ils respectent un ensemble de critères environnementaux, sociaux et méthodologiques, fixés par les labels eux-mêmes. En plus de ces critères s’ajoutent des exigences de transparence et de traçabilité dans la gestion des projets. Bien que contraignante, la labellisation témoigne d’un engagement supérieur de la part des organismes qui y ont recours et limite le risque de greenwashing pour le public. Elle représente un bénéfice pour la communication et le marketing des organismes, et représente un avantage économique pour ceux qui vendent des crédits carbone, la labellisation faisant monter le prix de ces crédits.
Le greenwashing au niveau de la démarche globale
Comme nous l’avons vu plus tôt, la réalisation seule d’un projet n’est pas suffisante; elle doit s’accompagner d’une stratégie plus globale de réduction de ses émissions. Pour aider les organismes dans cette démarche, il existe des guides, comme celui de la Net Zero Initiative proposant une stratégie en trois axes (réduction de ses émissions, réduction des émissions des autres, et augmentation des puits de carbone) ou celui de Science Based Target qui fixe des objectifs à atteindre pour s’aligner avec ceux des accords de Paris. Le recours à ces guides atteste d’un effort dans l’utilisation d’arguments scientifiques sérieux alignés avec les efforts internationaux dans la lutte pour le climat.
Le greenwashing: un enjeu politique
Un enjeu de collaboration internationale…
Le greenwashing autour de la compensation carbone est aussi un enjeu politique qui concerne les Etats, comme en témoigne la difficulté de parvenir à un compromis autour de l’article 6 des accords de Paris (qui prévoit la création de mécanismes de contribution volontaires entre les pays), certains pays voulant réutiliser des crédits déjà utilisés pour contribuer à de nouvelles réductions. Les débats autour de la Cop 26, ont également vu s’élever des voix pour dénoncer le marché du carbone comme un moyen pour les entreprises de continuer à polluer tout en finançant des projets. La construction d’un barrage hydroélectrique peut provoquer des déplacements de populations, et le développement de forêts peut empiéter sur des terres agricoles, et dans les deux cas, ce sont les entreprises qui en profitent et les populations locales qui en souffrent. Ainsi pour une compensation durable et sans greenwashing, l’impact social des projets ne doit pas être négligé au seul profit des impacts économiques et environnementaux.
… Et de protection nationale des consommateurs
Le 13 avril 2022, la France a rendu un décret relatif à la compensation carbone et aux allégations de neutralité carbone dans la publicité disposant que toute entreprise prétendant à la neutralité carbone pour un produit ou service devra pouvoir le justifier en rendant public plusieurs documents:
1- Un bilan des émissions de GES du produit ou service
2- Une synthèse de la méthodologie utilisée pour le bilan
3- Un plan présentant la trajectoire pour réduire les émissions associées au produit ou service
4- Une annexe détaillant les modalités de compensation des émissions résiduelles, qui précise notamment la nature et la description des projets de compensation
Néanmoins, comme le dénonce carbone4, les niveaux d’exigence de ce décret ne sont pas assez ambitieux pour servir de garde-fou contre le greenwashing, et pire, pourraient aboutir à une institutionnalisation du greenwashing. Par exemple, le décret ne fixe pas de niveau minimal requis pour la trajectoire de réduction des émissions, ni même de respecter les objectifs des accords de Paris, et est donc entièrement décidée par l’entreprise. Ce décret n’oblige pas non plus l'entreprise à donner le type (évitement, réduction ou compensation) ou la provenance des crédits carbones utilisés dans la compensation. Cette situation pourrait théoriquement aboutir à des aberrations, comme du pétrole ou des trajets en avion neutres.
En résumé, éviter le greenwashing dans votre projet de compensation carbone n’a rien d'insurmontable: il suffit d’allier une démarche sincère à un projet cohérent répondant à une problématique et à des objectifs clairs et réalistes. Pour vous aider dans cette opération, il existe des outils vous permettant de vous assurer que votre démarche et votre projet contribuent efficacement aux efforts internationaux en matière de réduction d’empreinte carbone. Par conséquent vous éviterez les messages trompeurs ou présomptueux au profit d’une communication sobre, honnête et transparente.