Vaut-il mieux parler de compensation ou de contribution carbone ?
Le marché de la compensation carbone volontaire, et la finance carbone en général, est en forte croissance depuis plusieurs années (+390% en France entre 2016 et 2020 d’après INFCC). En effet, de plus en plus d’entreprises y ont recours pour financer des projets écologiques sources de réductions ou de séquestrations d’émissions des gaz à effet de serre (GES). Néanmoins, le système est beaucoup décrié et est accusé d’ouvrir la porte à des stratégies de Greenwashing de la part des entreprises. Afin de mieux comprendre en quoi le système de la compensation carbone peut malgré tout s’avérer être un atout essentiel pour accompagner la transition écologique mondiale, il est important de l’envisager comme un moyen de contribuer à la neutralité carbone mondiale plutôt que de compenser les émissions individuelles d’une entreprise. Plus qu’un simple détail sémantique, parler de contribution carbone plutôt que de compensation traduirait une véritable différence de perception dans la démarche.
Pourquoi le système de la compensation carbone est-il critiqué ?
Globalement, l’opinion publique est relativement sceptique quant à l’efficacité du système de la compensation carbone. En effet, depuis une petite dizaine d’années, de plus en plus d’entreprises revendiquent l’acquisition de milliers de crédits carbone qui leur permettraient selon elles de se rapprocher de la neutralité carbone. Seulement, ces entreprises sont parfois extrêmement polluantes par ailleurs, et aux yeux de la société, il est difficile de comprendre en quoi un tel comportement peut être vertueux. Cependant, s’il est légitime de pointer du doigt celles qui manquent de sincérité dans leur démarche, il faut faire attention à ne pas s’attaquer aux nombreuses entreprises dont les efforts sont réels. Pour bien faire la distinction, il convient de comprendre l’origine des critiques de la compensation carbone.
- Une bonne action pour le climat ne permet pas d’en annuler une mauvaise
Le risque principal de la compensation carbone est d’inciter les entreprises à l’utiliser pour se défaire de la nécessité de réduire leurs émissions de carbone par ailleurs. L’ONU met ainsi en garde contre "l'illusion dangereuse d'un correctif qui permettra à nos émissions énormes de continuer à croître". "Ce n'est pas une solution miracle et cela peut conduire à la complaisance". Afin de ne pas tomber dans ce Greenwashing, il est important de garder en mémoire qu’une réduction des émissions ailleurs ne pourra jamais compenser une émission ici. Pour le dire trivialement, on ne peut pas annuler une mauvaise action en en réalisant une bonne juste après.
- La compensation carbone doit s’inscrire dans une démarche plus complète pour être efficace
Pour autant, cela ne signifie pas que la bonne action ne doit pas être réalisée sous prétexte que l’entreprise n’est pas irréprochable par ailleurs. En réalité, si la compensation est critiquée, c’est parce que seule, elle ne suffit pas pour mener une transition écologique satisfaisante, mais si elle est incluse à une stratégie plus complète, elle peut s’avérer extrêmement efficace pour accompagner la lutte contre le changement climatique. La compensation carbone doit être envisagée comme le dernier maillon de la chaîne Éviter, Réduire, Compenser (ERC). Cela signifie que pour avoir l’impact le moins néfaste sur l’environnement, une entreprise doit commencer par éviter les émissions de GES qui sont évitables, puis réduire celles qui ne le sont pas, et enfin compenser les émissions incompressibles. Bien-sûr, une telle stratégie est encore plus efficace si ces trois actions sont menées de front, mais toujours en gardant en tête que le mieux est de ne pas polluer du tout.
Le concept de neutralité carbone n'a pas de sens au niveau de l'entreprise
De nombreuses entreprises revendiquent être “neutre en carbone”. C’est notamment le cas de Google depuis 2007, qui a été l’un des précurseurs dans le domaine. Si cette expression est parfois utilisée en toute bonne foi par des entreprises qui mettent en place une stratégie bas carbone ambitieuse, elle n’a en réalité pas de sens au niveau de l’entreprise. Pour le comprendre, il convient de revenir sur ce qu’est la neutralité carbone.
- La neutralité carbone se joue au niveau mondial
La neutralité carbone signifie qu’il y a autant de carbone absorbé par les puits de carbone terrestres qu’il y en a de relâché dans l’atmosphère. Cette notion n’a donc de sens que si on l’envisage au niveau mondial, puisque lorsqu’une tonne de CO2 est émise, elle impacte la température de toute la Terre, et non seulement d’une ville ou d’un pays. Si l’on voulait être tout à fait précis, on parlerait même de neutralité carbone nette plutôt que de neutralité carbone, car il y aurait toujours des émissions de GES, même si les puits de carbone suffisaient à les absorber entièrement. Ainsi, pour qu’une entreprise puisse légitimement revendiquer une vraie neutralité carbone, il faudrait qu’elle n’émette aucun GES, ce qui n’est bien-sûr pas possible, même en consentant à d’importants efforts.
- Un crédit carbone donne rarement lieu à une séquestration immédiate
En outre, il est important de rappeler que dans la majorité des cas, un crédit carbone acheté pour compenser une émission qui a déjà eu lieu, ne donne pas lieu à une séquestration immédiate. Si l’on prend l’exemple des crédits correspondant à des projets forestiers (soit 60% des crédits vendus en France en 2020), le crédit permet généralement le financement de séquestrations sur plusieurs dizaines d’années. Par ailleurs, même dans le bilan carbone d’une entreprise, la compensation carbone ne lui permet pas d’afficher une neutralité puisque la majorité des organismes indépendants qui contrôlent le système (Verra, GoldStandard, etc...) interdisent aux entreprises de déduire de leur bilan carbone les émissions qu’elles auront contribué à séquestrer.
- Pour rendre le système plus efficace, il faut repenser la comptabilité carbone
C’est dans cette optique que certains militent pour une comptabilité carbone distincte pour les émissions d’une entreprise et pour ses projets de séquestration ou de compensation. Concrètement, le cabinet souhaiterait que chaque entreprise suive trois comptabilités simultanément : une pour ses émissions de GES, une pour ses contributions à la réduction d’autres acteurs (crédits carbone issus de projets de réduction) et enfin une pour ses contributions au développement de puits de carbone mondiaux (crédits carbone issus de projets de séquestration). Un tel système de comptabilité aiderait à passer d’une logique de compensation des mauvais comportements à une logique de valorisation des comportements vertueux, et aurait l’avantage d’être beaucoup plus précis et transparent.
L’idée de contribution correspond mieux à expliquer l’intérêt de ce mécanisme
Au terme de compensation, on préférera parler de contribution à la neutralité carbone mondiale plutôt que de compensation carbone. En effet, à la lumière des éléments évoqués ci-dessus, on peut comprendre qu’en réalité une entreprise qui achète un crédit carbone participe à l'effort collectif qui est nécessaire pour atteindre la neutralité carbone, mais ne compense pas vraiment ses propres émissions.
Nous invitons les acteurs du système à passer d’une logique de possession d’un crédit lui donnant droit à polluer à une logique de contribution à une lutte globale. Une entreprise qui fait le choix d’acheter des crédits carbone doit le faire en gardant à l’esprit que cet investissement sert en premier lieu les intérêts de la société, et non les siens.
En dépit des critiques, il convient donc d’encourager ce système de contribution à la neutralité carbone, en cela que lorsqu’il est utilisé à bon escient, il permet réellement de favoriser les investissements écologiques. Pour cela, il est important de donner à ses utilisateurs les bonnes clefs de compréhension du système, et c’est d’ailleurs ce que nous avons vocation de faire à travers les divers articles que nous publions sur notre blog.
Compensation et contribution : deux notion qui ne s’opposent pas frontalement
Ainsi, préférer l’utilisation de l’expression “contribution carbone” à “compensation carbone” permet de replacer la neutralité mondiale au centre de l’équation, plutôt qu’une pseudo-neutralité au niveau de l’entreprise. La compensation ne s’oppose néanmoins pas à la contribution à la neutralité carbone mondiale. Au contraire, le système dit de compensation carbone, doit être au service du vrai objectif, qui lui se joue au niveau global. Il peut être extrêmement efficace lorsqu’il est bien compris et donc bien utilisé par les entreprises qui s’en servent pour accompagner leur stratégie bas carbone, et non pour s’en exempter. Néanmoins, il est important de faire attention à ne pas tomber dans la dérive de se faire la police de la sémantique : de nombreuses entreprises ont une démarche très positive et se voient parfois critiquées pour avoir utilisé le mauvais terme, ce qui a pour conséquence de les éloigner de la démarche. C’est d’ailleurs pour éviter ce phénomène que l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) vient de publier un avis d’expert sur l’utilisation de l’argument de neutralité carbone dans les communications.