La forêt française a-t-elle vraiment doublé en 200 ans?
Depuis de nombreuses années, les médias soulignent que les surfaces forestières sont en recul dans le monde. Ce constat est vrai pour certaines forêts, comme les forêts amazonienne, malaisienne, congolaise, ou encore chinoise, qui sont largement surexploitées, mais ne peut être généralisé à l’ensemble de la planète. En effet, entre 1990 et 2020, la forêt européenne a crû de 19,3 millions d’hectares, et la forêt française de 2,9 millions d'hectares. Malgré les nombreuses critiques qui s’élèvent contre les coupes de bois, on constate aujourd’hui que la forêt française se porte bien. En effet, les gouvernants français ont compris depuis longtemps l’importance capitale de la forêt pour l'environnement, l’économie et l’industrie, et ont donc très tôt entrepris des politiques de reboisement de la France. Néanmoins, de nouvelles critiques dénoncent les différences existant entre ces plantations faites par l’homme et les forêts naturelles, affirmant que les premières ne seraient pas véritablement des forêts. Quels constats pouvons-nous donc faire sur l’évolution de la forêt française au cours des derniers siècles?
Les chiffres de la forêt française
En métropole, la forêt couvre actuellement 17,0 millions d’hectares soit 31 % du territoire. La superficie forestière s’accroît fortement depuis la deuxième moitié du XIXe siècle. On estime qu’elle était comprise entre 8,9 et 9,5 millions d’hectares en 1830, et qu’elle couvrait 14,1 millions d’hectares en 1985. La surface forestière a donc progressé régulièrement depuis deux siècles, et cette croissance s’est élevée à environ 80 000 ha en moyenne par an (0,6 % par an) entre 1980 et 2010. Quels ont été les facteurs historiques qui ont permis une telle prolifération des surfaces boisées?
Une ressource surveillée et protégée du fait de son importance commerciale et militaire
Très tôt, les dirigeants français ont compris qu’il était primordial de s’assurer de la bonne gestion des forêts pour assurer la compétitivité commerciale et militaire du pays, et ainsi conforter sa puissance. Le bois servait à la construction de navires de guerre et commerciaux, à l’alimentation des forges à canons et des poudrières, et à l’édification des fortifications. Ainsi l’État avait d’énormes besoins en matières ligneuses (le bois) : il consommait sans compter en temps de guerre et devait reboiser le territoire en temps de paix en préparation des nouveaux conflits. Le gouvernement mit donc en place un interventionnisme fort pour assurer le bon fonctionnement des chantiers navals et des manufactures, et dû pour cela contraindre les propriétaires qui cherchaient des profits rapides à ne pas couper les jeunes arbres, afin de maintenir une réserve de bois suffisamment solide. Paradoxalement, cette idée d’un État interventionniste dans la gestion forestière a perduré même au siècle de l'industrialisation et de l’essor du libéralisme et du capitalisme. L’existence d’un État gendarme, protecteur et régulateur était considéré comme nécessaire aux échanges commerciaux et à la maximisation de l’exploitation des ressources naturelles. La forêt était considérée comme un bien d’utilité publique, et seule une autorité globale pouvait la protéger des intérêts privés. En somme, la gestion durable des forêts et le reboisement du territoire étaient devenus une question de bonne économie.
Le constat du recul des forêt: une vision fantasmée et un catastrophisme permettant une convergence des idées
La volonté de reboisement du territoire fut également motivée par le constat de l’administration des Eaux et Forêts d’une déforestation totale de la France. Cette institution, ancêtre de l’ONF, fût la première à s’inquiéter de ce phénomène en s’appuyant sur des recensements et des statistiques. Elle fut bientôt rejointe par des parlementaires et des universitaires qui firent le même constat, et répandirent cette idée dans la population. Bien qu’en partie vrai, ce constat était exagéré, et ne touchait en réalité que la périphérie des villes et des littoraux, épargnant les massifs isolés difficiles d’accès pour les exploitations. La déforestation était hétéroclite et ne touchait pas l’ensemble du territoire. La prise de conscience de l’importance des ressources forestières s’accompagnait d’une angoisse permanente de la pénurie. Il était alors évident pour tout le monde que la déforestation n’était pas un phénomène naturel, mais bien une conséquence de l’action de l’homme sur l’environnement, et n’était donc pas une fatalité. De cette angoisse naquit une doctrine pré-écologique, attribuant à la forêt le rôle de protectrice de l’harmonie naturelle, et promouvant la protection de celle-ci par le reboisement. De nombreux courants de pensées se retrouvèrent dans cette doctrine : les romantiques y voyaient un moyen de rendre son mystère à la forêt, les rationalistes un moyen de maîtriser la forêt, les modernistes et les conservateurs y voyaient le constat de l’échec de la civilisation actuelle ainsi que la nécessité de rétablir un oasis disparu. Malgré ces prises de conscience et des projets de reboisements publics et privés, il faut attendre le début du XIXè siècle avant que la surface forestière globale augmente en France, après avoir atteint son minimum historique en 1830 où elle ne représentait plus que 16% de la surface totale, soit environ 8 millions d’hectares.
Modernité et croissance de la forêt
L’accroissement des surfaces boisées en France n’est pas que le fruit d’une prise de conscience du peuple et des élites, mais aussi une conséquence des mutations structurelles de la France. L’industrialisation et la modernisation que connut la France à la fin du XIXe siècle s’accompagnèrent d’un exode rural massif entraînant une désertification des campagnes. Ce bouleversement réduisit la pression sur les forêts et leur permirent de recoloniser les surfaces agricoles et pastorales abandonnées. Cet abandon des campagnes se poursuivit et s’accéléra lors des Trente Glorieuses. L’exploitation des forêts devint encore plus difficile à cause de la nouvelle compétition internationale, du morcellement des massifs au fil des générations, et de la réorientation du bois vers la construction plutôt que vers l’énergie. Tous ces changements, ajoutés aux plantations d’arbres par l’homme pour des raisons économiques ou de protection de l’environnement expliquent la formidable croissance des surfaces boisées en France au cours des deux derniers siècles.
Mais peut-on réellement parler de doublement des forêts?
Comme nous venons de le voir, la surface boisée en France a doublé, mais les plantations effectuées par l’homme sont-elles des forêts pour autant? Une première difficulté vient de l'ambiguïté autour de la définition de forêt. L’IGN définit la forêt comme “un territoire occupant une superficie d’au moins 50 ares composé d’arbres pouvant atteindre une hauteur supérieure à 5 mètres à maturité, un couvert boisé de plus de 10% et une largeur moyenne d’au moins 20 mètres”. A priori, rien n’empêche les plantations d’être considérées comme des forêts, mais suffit-il qu’une surface soit recouverte d’arbres pour être appelée forêt? En effet, les plantations, qui représentent au moins 14% de la forêt française, posent divers problèmes limitant leur durabilité : l'absence de diversité génétique les rend plus sensibles aux parasites, aux maladies, aux incendies, et aux tempêtes, tandis que les courtes périodes de rotations épuisent les sols, et que certains comme le botaniste Francis Hallé dénoncent l’utilisation d'engrais, fongicides et pesticides endommageant les sols (bien que le nombre de sources à ce sujet soit faible). Les plantations posent aussi des problèmes paysagers: des arbres plantés en lignes droites et espacés régulièrement n’égalent pas la beauté et ne reconstituent pas une véritable ambiance forestière, d’autant plus que la biodiversité animale et végétale y est très faible. Les plantations sont très dépendantes de l’homme, nécessitent un lourd investissement, et sont en réalité plus proches du champ d’arbres que des forêts. Finalement, les plantations ne surpassent les forêts que d’un point de vue économique, car elles assurent un meilleur rendement aux exploitants de bois, et c’est malheureusement pour ça qu’elles sont parfois préférées aux forêts.
Il faut également préciser qu’une forêt vaste ne veut pas dire une forêt en bonne santé : paradoxalement, la progression des surfaces boisées se trouve être défavorable à la bonne santé des arbres, avec d’un côté des plantations, dont nous venons de voir les défauts, et de l’autre des forêts qui se dégradent, s’embroussaillent, et se densifient car elles se sont retrouvées complètement livrées à elles-mêmes. Ainsi, la surface occupée par les arbres n’est pas le seul critère à prendre en compte, il faut aussi considérer la durabilité et la bonne santé de ces espaces, c’est justement un point que nous abordons dans notre article sur la santé des forêts. La croissance des surfaces boisées est une formidable occasion de promouvoir une sylviculture durable et proche de la nature, comme celle que Kloros pratique, pour gérer durablement et respectueusement ces espaces.
Source: Chalvet, M. (2011). Une histoire de la forêt.