Quotas carbone, crédits carbone et taxe carbone : Quelles différences ?

Quotas carbone, crédits carbone et taxe carbone : Quelles différences ?

La finance carbone est un concept qui se développe depuis le début des années 2000. Il consiste à vouloir internaliser les externalités négatives découlant de l’émission de CO2. Cela revient à intégrer la pollution aux différents mécanismes de marché afin d’inciter les acteurs économiques à réduire leur empreinte carbone, et de ne pas faire peser les conséquences de la pollution sur des acteurs qui n’en sont pas responsables. Les trois piliers de cette finance carbone sont le marché obligatoire des quotas carbone, le marché volontaire des crédits carbone, et la taxe carbone. Mais qu’est-ce qui se cache derrière ces noms parfois barbares ? Afin de vous aider à y voir plus clair, Kloros propose de revenir avec vous sur ces distinctions. 

Marché obligatoire des quotas carbone, et marché de la compensation carbone volontaire

En 2005, l’Union Européenne a lancé son marché de carbone dans le but d’inciter les entreprises à réduire leurs émissions de CO2. Ce marché est appelé système d’échange de quotas d’émissions (SEQE). Le SEQE est donc le système que l’UE a trouvé pour parvenir à atteindre les objectifs de réduction d’émissions fixés en 1997 par l’ONU à Kyoto. Il existe divers marchés similaires dans d’autres régions du monde, mais nous nous intéresserons en priorité au marché européen. Pour les entreprises concernées, ce marché est obligatoire. Il ne faut donc pas le confondre avec le marché des crédits de compensation carbone, qui se développe parallèlement depuis quelques années, et qui repose pour sa part sur le volontariat des entreprises. Revenons tout d'abord sur le fonctionnement de ces deux marchés, afin de mieux comprendre en quoi ils se différencient et se complètent.

  • Le marché obligatoire des quotas carbone

Le marché du carbone institué par l’UE repose sur la volonté de donner un prix à la pollution, afin que ceux qui polluent soient également ceux qui assument, au moins en partie, les coûts engendrés par cette pollution. On parle alors du principe du “pollueur-payeur”, théorisé par Pigou, un grand économiste anglais du XXème siècle. En pratique, la façon dont ce principe a été appliqué par l’UE est assez simple. Chaque entreprise concernée par ce marché se voit attribuer en fonction de son secteur d’activité, de sa taille, ou encore de son habitude à polluer, un certain nombre de quotas d'émission. Chaque quota correspond à l’équivalent d’une tonne d’émissions de CO2. Cela signifie qu’une entreprise qui se verrait accorder 100 quotas aurait le “droit” d’émettre 100 tonnes de CO2 dans l’année. En fin d’année, chaque entreprise doit présenter le bilan de ses émissions, et prouver qu’elle est en possession de la même quantité de quotas carbone, qu’elle devra alors restituer à l’UE.

Le système est imaginé de telle sorte à inciter les entreprises à réduire leurs émissions, sans pour autant les y contraindre. En effet, si une entreprise pollue plus que ce que ses quotas donnés en début d’année ne l’y autorisent, elle devra en acheter sur le marché des quotas d'émissions. Ce marché sera alimenté par les entreprises qui polluent moins que ce que leurs quotas les y autorisent. 

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Un exemple

Prenons un exemple. Soient deux entreprises, X et Y, qui se sont toutes les deux vu octroyer 100 quotas en début d’année. X met en place une stratégie de réduction de ses émissions, alors que Y ne fournit pas vraiment d’efforts pour aller en ce sens, à tel point qu’en fin d’année, X n’a émis que l’équivalent de 80 de ses quotas, alors que Y a émi l’équivalent de l’ensemble de ses quotas, plus 10 quotas qu’elle ne possède pas. X aura alors le droit de vendre 10 quotas de son surplus à Y, à un prix fixé librement par la rencontre de l’offre et de la demande de quotas, et même de mettre en réserve les 10 qui lui restent afin de pouvoir les utiliser l’année d’après si elle en a besoin. De la même façon, si Y considère qu’elle polluera moins l’année prochaine, elle peut consommer en avance une partie de ses quotas futurs. Mais admettons que l’entreprise Y ne parvienne pas à acheter à une autre entreprise les quotas qui lui manquent, et ne restitue donc pas à temps ses quotas à l’UE. Elle va alors être pénalisée via une amende qui s’appliquera en fonction du nombre de quotas manquants. Celle-ci est fixée à 100 euros/quota manquant, et n’exempte pas l’entreprise concernée de restituer les quotas manquants d’une manière ou d’une autre.

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En outre, chaque année le nombre de quotas octroyé à chaque entreprise est réduit, afin de les pousser à limiter leurs émissions. Ce système n’a pas vocation  à obliger les entreprises à être neutres en carbone, mais plutôt à les faire prendre conscience du coût de leur pollution, et de faire en sorte qu’elles aient intérêt à estimer le coût d’une stratégie de limitation de leurs émissions de CO2, et ainsi à réduire celles dont le coût d’élimination est inférieur au prix du quota de CO2.

  • Le marché de la compensation carbone volontaire

Le marché des crédits carbone, sur lequel évolue Kloros, ne fonctionne pas du tout de la même façon, parce qu’il est basé sur le volontariat des entreprises et n’apporte aucun avantage fiscal ou économique, mais surtout parce que le produit échangé n’est pas le même. En effet, sur le marché des quotas carbone de l’UE, ce sont des documents donnant le droit d’émettre une tonne de CO2 qui sont échangés, tandis que sur le marché volontaire des crédits carbone, c’est une preuve qu’on a aidé financièrement à séquestrer du carbone ou à éviter son émission qui est échangée : X a une activité polluante et souhaite compenser ses émissions de CO2, elle va donc aider à financer un projet écologique, en échange de quoi elle se verra délivrer des crédits correspondants aux émissions évitées ou séquestrées grâce à son investissement. Sur ce marché, un crédit carbone est donc une façon de certifier qu’une entreprise a bien contribué au financement de la séquestration d’une certaine quantité de carbone. On parle alors de contribution ou de compensation carbone.

Schéma explicatif de la compensation carbone volontaire (source : info-compensation-carbone.com).

Schéma explicatif de la compensation carbone volontaire (source : info-compensation-carbone.com).

Les acteurs sur ces marchés ne sont pas les mêmes. En effet, parmi les 23 millions d’entreprises dans l’UE, seules 11 000 sont concernées par le marché obligatoire des quotas carbone, alors que toutes les entreprises de l’UE pourraient potentiellement intégrer le marché volontaire des crédits carbone, si elles le souhaitaient. Les entreprises concernées par le marché obligatoire le sont en fonction de leur secteur d’activité, et représentent environ 45% des émissions de CO2 de l’UE. En 2016, le SEQE a couvert les 1748 millions de tonnes de CO2 émises par les 28 États alors membre de l’UE, dont 101 millions par des acteurs français. En comparaison, en 2020 le marché volontaire des crédits carbone représentait en France un peu plus de 11 millions de tonnes de CO2, pour une valeur de près de 50 millions d’euros financés par 1500 clients, et encore seulement 93k tonnes pour des projets français du jeune Label bas carbone en 2020.

On comprend donc que ces marchés ne s’opposent pas, et peuvent même être complémentaires. Ainsi, une entreprise du marché de quotas obligatoire qui aurait à cœur de limiter au maximum son impact environnemental peut très bien acheter des crédits carbone, même si elle n’émet pas plus que ce dont elle a le droit. Puisqu’il repose sur le volontariat, le marché des crédits carbone est souvent investi par des entreprises qui ont réellement à cœur d’agir en faveur de la neutralité carbone mondiale. De plus, l’ONU prévoit divers mécanismes dits de flexibilité permettant aux entreprises de s’exempter d’une partie de leurs quotas en participant au financement de projets écologiques, créant ainsi un pont entre le marché obligatoire des quotas et le marché volontaire des crédits. 

  • Le SEQE face à ses critiques

En pratique, le marché obligatoire des quotas carbone est fortement critiqué, et ce pour différentes raisons. La première est liée au fait que depuis sa création, l’UE n’a cessé de craindre que ce marché n’handicape les entreprises européennes en concurrence avec des producteurs étrangers qui ne sont pas soumis à un tel marché. En conséquence, l’UE a distribué de nombreux “quotas gratuits” à des entreprises concernées par cette concurrence, ce qui revenait plus ou moins à les faire sortir du marché. De plus, la quantité de quotas mise en circulation est arbitraire, et relativement difficile à établir : trop faible, elle devient irréaliste, mais trop importante, elle ne sert plus à rien. Ainsi, en 2007, lorsque l’UE a commencé à s’inquiéter de ce qui allait par la suite devenir la plus grave crise économique de ce début de siècle, une telle quantité de quotas a été mise en circulation que le prix d’un quota sur le marché a atteint 0 euros ! Le système entier n’avait alors plus aucune utilité. En règle générale, jusqu’en 2013, le prix d’un quota était si faible que le système n’incitait pas les entreprises à modifier leurs comportements. C’est pourquoi à partir de cette date, les pays de l’UE ont cessé d’octroyer des crédits gratuits aux entreprises, ce qui a permis au prix du quota de grimper progressivement jusqu’à 28 euros à la mi-2020. En 2021, l’UE a revu à la hausse ses objectifs de réduction des émissions, ce qui a même permis de faire monter le prix d’un quota à 44 euros en avril 2021, et de dépasser les 90 euros en fin d’année. À ce niveau de prix, on peut considérer que le système a réellement un effet dissuasif sur les entreprises. Mais comment savoir quel devrait être le prix d’une tonne de carbone ? Établir un tel prix est effectivement un défi considérable, d’autant plus qu’il peut avoir un impact important sur l’environnement et sur l’économie : trop faible, il n’incite pas assez les entreprises à réduire leurs émissions, mais trop élevé, il est un frein à l’activité économique et entrave la compétitivité internationale des entreprises européennes. Récemment, la Commission Stern-Stiglitz a estimé en 2017 qu’il faudrait un prix entre 40 et 80 dollars en 2020, et qui augmente jusqu’à 50 à 100 dollars d’ici à 2030, tandis que le rapport Quinet II concluait sur une valeur de 250€ à cette même date. Ce sont des chiffres très différents, qui témoignent de la difficulté d’estimer le vrai prix du carbone, mais ils nous permettent de conclure que le prix du carbone va être amené à beaucoup augmenter dans les années à venir.

Évolution des prix du carbone sur le SEQE (source : Énergies Dev Consulting)

Évolution des prix du carbone sur le SEQE (source : Énergies Dev Consulting)

Quelles différences avec la taxe carbone ?

En France, la taxe carbone est appliquée depuis 2014. Il s’agit d’une écotaxe qui est appliquée en fonction des émissions de CO2. Plus celles-ci sont élevées, plus la taxe grimpe. La taxe carbone porte assez mal son nom, car il ne s’agit pas d’une taxe à proprement parler. Une taxe est payée par tous, et sert au financement d’un but bien précis. Ici, il s’agit plutôt d’un impôt, car la taxe carbone n’est payée que par ceux qui consomment des énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, et charbon). En effet, elle est directement intégrée au prix final des énergies concernées, et uniquement au prix de ces énergies. Les produits dont la production a nécessité la consommation de telles énergies ne sont pas concernés par cette taxe. Néanmoins, les producteurs auront du la payer en achetant l’énergie nécessaire à la production, ce qui fait augmenter leurs coûts de production, et donc en général le prix de vente. Encore relativement faible aujourd'hui, cette taxe sera amenée à augmenter progressivement dans le futur, afin d’inciter les acteurs économiques à réaliser des investissements de long terme en faveur de la réduction des émissions de GES sans pour autant les pénaliser excessivement sur le court terme. Elle a aussi pour intérêt de modifier les comportements des consommateurs en les orientant vers des énergies moins polluantes.

Cependant, tout le monde ne paie pas cette taxe. En effet, l’ensemble des entreprises concernées par le marché obligatoire des quotas carbone en sont exemptées, tout comme le transport aérien, le transport maritime, les transports fluviaux, les taxis, les transports routiers de marchandises, les transports en commun, et les agriculteurs. Cela a pour effet de réduire son efficacité.

Alors qu’elle ne rapportait que 0,3 milliards d’euros à l’État en 2014, elle rapporte désormais environ 8 à 9 milliards d’euros par an. Initialement de 7 euros, elle a été imaginée de telle façon à atteindre les 100 euros/tonne en 2030. En 2021, elle était de 44,6 euros hors TVA. Ce montant aurait été supérieur sans le mouvement des Gilets Jaunes. Dans le monde, plus d’une trentaine de pays appliquent une taxe carbone. Certaines, de quelques centimes la tonne à peine n’ont pas de réelle utilité, mais certains pays appliquent des montants très élevés. C’est le cas par exemple de la Suède où la taxe carbone est de 123 dollars.

La finance carbone : différentes mises en oeuvre d’une volonté commune

Ainsi, différents volets de finance carbone se développent depuis une quinzaine d'années. En Europe, c’est le marché obligatoire des quotas carbone qui est la pierre angulaire de ce système, mais le marché de la compensation carbone volontaire croît rapidement et joue un rôle de plus en plus important dans la contribution à la neutralité carbone mondiale. La taxe carbone est un outil à part, en cela qu’elle n’a pas un lien direct avec les accords de Kyoto et de Paris, même si en incitant les acteurs à consommer moins d’énergies polluantes, elle contribue au respect des objectifs qui y ont été fixés. Le développement de cette finance témoigne du fait que certaines entreprises et instances de gouvernance internationale commencent à prendre conscience du problème posé par les émissions de gaz à effet de serre, mais surtout qu’elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir modifier leurs comportements en conséquence. Il faut cependant nuancer ce propos en rappelant que la majorité des entreprises le font par contrainte et non par choix, même si le développement du marché de la compensation carbone volontaire est de bon augure. D’ailleurs, en évoluant sur le marché volontaire, Kloros a pour ambition d’offrir des solutions aux entreprises qui souhaitent œuvrer en faveur de la neutralité carbone mondiale. Si ces marchés vont en ce sens, il faut surtout garder à l’esprit que la meilleure façon de contribuer à cette neutralité carbone est de mettre en place des stratégies de réduction de nos émissions de CO2.

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