La forêt face au réchauffement climatique

La forêt face au réchauffement climatique

Deuxième plus grand puits de carbone au monde après les océans, la forêt est une composante indispensable de l’équilibre de nos écosystèmes, c’est indéniable. Mais en dépit de son rôle essentiel, c’est malheureusement l’une des premières victimes du réchauffement climatique qu’elle tend pourtant à contenir. L’élévation des températures, l’acidification des sols ou encore l’aggravation des phénomènes météorologiques extrêmes provoquent des dégâts difficilement remédiables sur nos massifs forestiers. Illustration de ce propos, l’IGN a estimé que sur la période 2013-2018, le volume de bois mort sur pied en France avait augmenté de 30% à cause notamment du stress hydrique et sanitaire. 

Ces variations climatiques exigent aujourd'hui des propriétaires et gestionnaires forestiers qu’ils adaptent leurs méthodes et pratiques sylvicoles (la méthode Miyawaki en est une illustration). Mais trouver un bon équilibre entre le coût de cette adaptation, l’urgence du changement et la santé de la forêt s’avère difficile. Malgré des conséquences aussi incertaines que graves, les propriétaires forestiers privés (qui représentent 75% des massifs métropolitains) n’ont pas tous les moyens ou la volonté d’agir. Être informé sur les enjeux de ce sujet et sur les manières de lutter apparaît donc primordial.

À travers cet article nous présenterons de manière succincte les effets, directs et indirects, du réchauffement climatique sur la forêt, puis, certaines des solutions pour essayer de remédier aux changements drastiques qu’il engendre pour nos essences.

Les changements concrets causés par le réchauffement climatique

D’un point de vue général, il semble intéressant pour commencer, d’évoquer les conséquences globales et concrètes du changement climatique. Ce n’est plus un mystère pour personne, en 2023 la température moyenne de la terre à augmenté de 1,2°C par rapport à l’ère préindustrielle. Les conséquences à cela sont diverses, l’augmentation des niveaux et fréquences des températures extrêmes par exemple sont notables. L’effet de serre conduira de fait à plus d’épisodes caniculaires (ou évènements similaires) et à une hausse des températures maximales et minimales.

Deux autres effets, bien qu’ils semblent contradictoires, sont à imputer au changement climatique. La hausse du nombre de sécheresses qui sont dévastatrices et laissent certaines zones de la terre complètement arides, et l’augmentation des précipitations, due à une plus grande quantité de vapeur d’eau dans l’air dans certaines zones. Outre l’augmentation des pluies liée à cela, la hausse des précipitations peut entraîner des évènements climatiques extrêmes comme de très violents cyclones. 

Enfin, la fonte des glaces, la hausse du niveau et de la température des océans ou encore le dégel du pergélisol sont également des conséquences du changement climatique, aux impacts moins directement visibles sur les massifs forestiers.

Les conséquences directes du changement climatique sur les forêts

Les arbres ne dérogent pas au phénomène d’évolution naturelle. De génération en génération, ils s’adaptent à leur environnement. Cette évolution (au même titre que celle des autres êtres vivants) reste néanmoins très lente contrastant ainsi avec la rapidité du réchauffement climatique. Face à la brutalité des changements les forêts manquent de temps pour s’adapter aux nouvelles conditions et sont ainsi mises en difficultés. On peut citer, à titre d’exemple, le chêne Sessile: cette essence a de gros besoins en eau et s’adapte donc beaucoup moins bien aux sécheresses plus intenses et fréquentes

Dans les cas les plus graves, lorsqu’à la sécheresse vient s’ajouter une forte chaleur, comme une période de canicule par exemple, et que l’arbre transpire malgré le manque d’eau, cela peut entraîner un phénomène d'embolie gazeuse : des poches de gaz se forment dans les vaisseaux de l’arbre bloquant la circulation de la sève. Si trop de vaisseaux sont bloqués, l’embolie peut provoquer la mort de l’arbre. On estime qu’avec un modèle de réchauffement médian (+ 2°C), les chênes sessile et pédonculés verraient un tiers de leur surface actuelle devenir inadaptée à leur développement. 

La croissance des arbres est elle aussi impactée par le changement climatique. À très court terme en Europe, l’augmentation du CO2 a un impact fertilisant et pourrait ainsi accélérer la croissance des arbres. Il ne faut pas s’y méprendre si cet effet semble en apparence positif, ce surplus de croissance est d’une part plus gourmand en eau, et d’autre part, peu durable. On considère que la productivité des arbres en France baissera d’ici 2100. En parallèle, c’est la qualité du bois qui pourra aussi baisser. La lente adaptation des arbres aux conséquences du changement climatique pose ainsi des problèmes sanitaires aux forêts, pouvant même aller jusqu’à affecter leur capacité à stocker du carbone, si les dépérissements deviennent trop intenses.

Que ce soit par la destruction, résultat d’événements climatiques extrêmes comme les tempêtes, ou bien par une mortalité accrue des arbres due à la sécheresse, les phénomènes météorologiques extrêmes constituent un véritable danger pour les forêts, et l’ouragan Lothar, détruisant près de 2% du total des arbres sur pied en Suisse en 1999, en est une parfaite illustration

D’autres dangers, moins directs sont également délétères pour les forêts

Le changement climatique modifie énormément d’aspects de notre environnement et certaines de ses conséquences, certes un peu moins évidentes, contribuent à endommager la forêt.  

Pour certains êtres vivants qui la menacent, le changement climatique est une aubaine. Le cas des Scolytes (dont nous parlons plus en détail dans cet article) est révélateur. Ce sont des coléoptères faisant des ravages dans les forêts d’épicéas du nord en creusant des réseaux de galeries immenses dans ces arbres. Le déficit hydrique induit par la sécheresse affaiblit le système immunitaire des arbres, et permet donc aux parasites (dont les scolytes) de se développer plus facilement. De plus, les hivers plus courts et plus doux, leur permettent une reproduction plus intense. C’est également le cas pour les gros gibiers (sangliers, chevreuils…) la période de reproduction étant plus longue, ils prolifèrent jusqu’à devenir des espèces invasives qui peuvent mettre en danger les forêts. Selon l’Office National des Forêts (ONF), on compte aujourd’hui 20 fois plus de sangliers qu’en 1973 et 11 fois plus de cerfs. Ces derniers sont responsables d’importants dégâts dans les forêts, détruisant notamment les jeunes pousses dont ils raffolent. 

La multiplication des feux de forêts constitue une autre des conséquences indirectes du réchauffement climatique. Les sécheresses, ayant pour conséquence la mort des végétaux en font avec le bois sec un combustible de premier choix, vecteur de propagation des feux. Résultat, les feux de forêts sont plus ardents et se propagent plus rapidement, avec des effets encore plus dévastateurs. Un exemple parlant de cela à eu lieu à l’été 2022 en Gironde où pas moins de 32 000 hectares du massif des Landes de Gascogne ont brûlé (cela représente environ 3 fois la superficie de la ville de Paris).

Face au feu, près d'Hostens dans le massif landais, été 2022  ©AFP - LAURENT PERPIGNA IBAN / HANS LUCAS

Face au feu, près d'Hostens dans le massif landais, été 2022  ©AFP - LAURENT PERPIGNA IBAN / HANS LUCAS

Quel avenir pour la sylviculture en France ?

Le constat pourrait être alarmant : de nombreuses essences en France sont en péril. Outre les chênes Sessiles et pédonculés (évoqués plus haut), le ministère de la transition écologique estime aujourd’hui que :

  • Le hêtre, ne couvrira plus qu’un tiers de la surface qu’il occupe aujourd’hui à l’avenir en n’étant localisé dans les massifs montagneux.
  • L’épicéa quant à lui, pourrait être porté à réduire sa surface (entre autres à cause des Scolytes) et n’occuper que 10% de sa surface actuelle.
  • Enfin, le Sapin, que l’on retrouve aussi en méditerranée, risque de reculer de 60% dans cette région,
  • À l’inverse du pin maritime, qui pourrait voir sa production augmenter et s’étendre au moins sur le moyen terme (cette dernière assertion reste à nuancer, la chenille processionnaire fait des ravages sur le pin maritime et le réchauffement favorise son développement)

Au-delà des essences, c’est tout un ensemble d’écosystèmes et leur biodiversité qui se retrouve menacés de disparition, ou bien de substitution par d’autres essences en apparence plus adaptées. Mais la résilience de la forêt étant (presque) à toute épreuve, il existe de multiples axes de développement pour la sylviculture afin de pallier les conséquences du changement climatique. 

Intuitivement, on pourrait penser que ces axes de développement se limitent peu ou prou à la plantation d’essences plus adaptées et plus résilientes, comme le pin maritime adapté (à des sols peu calcaires et résistant à la chaleur) ou le Douglas par exemple. Mais cette solution, si elle devait être considérée comme unique, présente deux limites : premièrement, il est très difficile de prévoir quelles seront les essences les plus adaptées par territoire à horizon 50, 60 ans. Et deuxièmement, la monoculture de ces essences entraînerait de facto une baisse de la biodiversité dans nos massifs. 

C’est pourquoi une évolution des mentalités et des méthodes de sylviculture les plus utilisées est indispensable pour préparer de la meilleure façon nos forêts au réchauffement climatique. Aujourd’hui la coupe rase (pratique controversée qui perturbe grandement les écosystèmes, est encore très répandue sur le territoire) et les pressions faites par la demande de bois qui poussent à augmenter la productivité n’améliorent pas les choses. Comme illustration de cette logique productiviste on peut citer les monocultures d'essence aux meilleurs rendements telles que le Douglas très largement répandues. Cette essence à “l’avantage” d’être très adaptée à notre climat, nos sols, et dont le bois se valorise bien…

 À l’avenir, face à ce type d’exploitation forestière, il conviendra de privilégier des modes de sylviculture plus respectueux, tels que la pratique de la futaie irrégulière (peuplement d'âges différents) ainsi que la régénération naturelle, et la diversification d’essence au sein des peuplements. En clair, cela signifie qu’au lieu de faire des coupes rases, on préfèrera couper certains arbres quand ils seront à maturité, afin notamment de maintenir un couvert forestier et permettre aux autres arbres, plus jeunes, de se développer à leur tour.  Bien qu’il demande plus de travail, ce mode est souvent plus pérenne et respectueux que la coupe rase, permettant notamment de maintenir un couvert forestier continu et un habitat pour la faune locale.

Au-delà des pratiques, c’est surtout les mentalités qu’il faudra changer, pour passer d’une logique d’exploitation forestière à un paradigme centré sur la résilience des massifs forestiers. Cela passera inévitablement par un effort financier supplémentaire des propriétaires forestiers afin de renoncer aux revenus des coupes rases. 

La Forêt française étant très majoritairement privée, c’est tout un ensemble de politiques incitatives qui seront nécessaires afin d’accompagner ces petits et grands propriétaires vers une sylviculture durable.

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